« Dans l’intimité des migrants.. »
« Une saison en France » de Mahamat Saleh Haroun a clôturé la neuvième édition du festival International du Cinéma d’Alger, à la salle IBn ZEydoun. C’est l’ histoire de Abbas, alias Eriq Ebouaney, professeur de français qui a fui la guerre en Centrafrique pour bâtir une nouvelle vie en France. Il reste hanté par la mort de sa femme. En attendant d’obtenir le statut de réfugié, le quotidien d’Abbas s’organise : ses enfants sont scolarisés et il travaille sur un marché où il rencontre Carole merveilleusement interprétée par Sandrine Bonaire. Mais si le droit d’asile lui est refusé, qu’adviendra d’Abbas , de sa famille et son nouveau couple ? Le réalisateur tchadien, dont l’histoire des migrants ne lui est pas étranger, nous parle des raisons qui lui ont poussé à faire ce film très poignant et intimiste afin de donner enfin un visage aux migrants.
Dans votre nouveau film, tourné en France, vous abordez le sujet des réfugiés demandeurs d’asile politique en France. Tout d’abord pourquoi ce sujet ?
Mahamet Salah Haroun : Comme vous le savez, il y a un glissement sémantique aujourd’hui qui nous amène à parler des réfugiés. Au départ, on parlait d’immigrés et maintenant c’est devenu migrant. je pense qu’il y a beaucoup de gens qui quittent leur pays par ce qu’ils sont d’abord réfugiés et les réfugiés c’est politique en fait .C’est un statut qui leur donne le droit à l’ assistance et à la protection et moi j’ai connu cela par ce que j’ai quitté mon pays à cause de la guerre civile et quand je me suis présenté, en France, j’ai dû demander l’asile que je n’ai pas obtenu . C’est une longue histoire. Depuis quelques années, on voit quand même ce phénomène se développer un peu partout. Avec les guerres, en Syrie par exemple, on voit les gens venir d’Afghanistan, d’Afrique etc Tout ça m’a touché. J’ai commencé une enquête et je me suis dit qu’il fallait que je raconte cela d’une autre manière pour donner des visages et une histoire à ces gens par ce que la plus part, sinon la totalité des films que j’ai vu sur les migrants travaillent sur la traversé c’est-à-dire l’aventure et tout ce qui est spectaculaire mais on ne raconte pas l’intimité de ces gens. Et moi je voulais m’attacher à cela.
Avec tout les tracas administratifs que l’on ne voit pas finalement au cinéma. C’est très rare effectivement…
On aime bien au cinéma présenter ces corps là comme étant étrangers c’est-à-dire étrangers et étrange dans leur désir de prendre la mer complètement fous et on les filme en réalité pour dire aux autres : voyez leur misère et moi je me suis attaché à ceux qui, à un moment donné, accèdent à cette espèce d’eldorado et comment ces gens à se débrouillent et comment ils doivent dealer avec les conditions d’accueil sur place.
Finalement, l’acteur principal vous ressemble puisque vous êtes tout les deux des personnes lettrés à qui ont a refusé le droit à l’asile politique..
Vous savez, il ya beaucoup de gens qui viennent par exemple de Syrie et qui sont tres cultivés et éduqués. Des ingénieurs , des chefs comptables, des gens d’une certaine catégorie qui n’auraient jamais quitté leur pays s’ils n y avaient pas eu la guerre et moi je voulais sortir aussi de ces clichés où le réfugié est toujours non éduqué , toujours misérable , pauvre , sal. Il ya toute une construction de l’image en fait du réfugié ou du migrant Plutôt que je voulais déconstruire en réalité. C’est ce que j’ai essayé de faire. Je vous avoue que, quand j’ai fait mon enquête, je suis allé à la cour national du droit d’asile où les gens une fois, l’OFRA ( l’office français de protection des réfugiés et apatrides) vous donne une réponse négative vous pouvez faire un recours au prés de cette cours nationale du droit d’asile en banlieue parisienne à Montreuil et on affiche les noms, comme vous l’avez vu dans le film . Toutes les semaines, il ya deux ou trois fois une intervention des pompiers qui viennent ramasser les gens qui tombent par ce qu’on leur refuse l’asile politique, par ce qu’ils ils perdent connaissance. C’est une vraie tragédie. Je voulais un regard intérieur en fait.
Comment s’est fait le choix des acteurs, notamment Sandrine Bonnaire et l’acteur camerounais Eriq Ebouaney ?
Eriq Ebouaney qui joue Abbas est un des meilleurs acteurs aujourd’hui sur la place de Paris pour moi. Le choix était évident. C’est quelqu’un que je connais. Il a travaillé avec Brayan De Palma deux fois et moi j’ai eu la chance de passer une semaine avec Bryan De palma au festival de Toronto dans un jury et on a parlé de Eric. C’est vraiment quelqu’un de talentueux. Je l’ai pris pour ça. Son ami, lui, Etienne vient de la République Centrafricaine. Il connait l’histoire de son pays et la guerre civile. Il est musicien. Les deux, je les ai pris par ce que j’ai estimé qu’ils étaient bien pour remplir ces rôles la. Sandrine Bonnaire quant à elle représente pour moi le visage de la France souriante et généreuse, la France comme j’aime. C’est ce type de visage que j’aime en France. C’est ce sourire qui ne ment pas. Cette personne qui est assez sincère. J’ai passé deux mois avec elle. C’est une fille qui n’a pas de caprices, une fille simple avec laquelle on s’tend merveilleusement bien. C’est une très grande actrice. J’ai toujours rêvé de travailler avec elle.
Peut –on connaitre le sujet de votre prochain film ?
Mon prochain film se déroulera au Tchad. C’est une histoire de femme essentiellement par ce que j’y ai vécu là bas pendant un an pour les besoins de ma fonction en tant que ministre de la culture et j’ai découvert des choses et je voulais en rendre compte. Cela s’appelle « Lingui » et c’est l’histoire d’une femme divorcée qui vit avec sa fille adolescente et qui a toutes les peines du monde pour gérer cette fille là. En réalité, c’est une femme qui a eu cet enfant hors mariage. J’imagine qu’ici c’est à peu prés la même chose. Généralement, quand les filles aient des enfants hors mariages, il arrive chez moi, que ces filles soient chassées par leur famille. Et elles doivent de débrouiller toute seules. Je voulais montrer le courage de cette femme qui fait tout pour que sa fille évite ce déterminisme là. C’est donc un portrait d’une mère et sa fille entourée d’autres femmes. Je vais le tourner l’année prochaine.
Le Fespaco fête en 2019 ses 50 ans. Un mot sur cette festival que vous connaissez très bien..
50 ans c’est important. Il faut fêter cela comme une forme de renaissance pour pouvoir repartir du bon pied, prendre les bonnes décisions. Il ya eut des révoltes populaires , une sorte de révolution au Burkina Faso , il faut espérer que cela puisse accompagner aussi la métamorphose du Fespaco et tenir compte un peu de tout les défis qui attendent le cinéma en Afrique et que ce festival puisse continuer à être un lieu de rendez-vous pour toutes les cinématographies venantes d’Afrique et pour toutes les diversités issues de ce continent.