6E FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM ENGAGÉ Le documentaire, le maillon fort du Fica 21 décembre 2015

Cette année, on peut dire sans se tromper que les films documentaires se taillent la part du lion sur la fiction non par le nombre, mais par la qualité de leur traitement rehaussé d’une esthétique pour certains…

Où commence le travail d’un journaliste et où s’arrête le sensationnel? Une question d’éthique, voire de déontologie, se pose à nous, toutefois lorsqu’on regarde le film documentaire palestinien Roshmia du réalisateur palestinien Salim Abou Djabal. Dans la vallée de Roshmia à Haïfa, un vieux couple habitant une baraque est sur le point d’être chassé, non sans se faire indemniser par l’Etat.
Le réalisateur a pris le parti de ne filmer que ce couple, voire les quelques rares personnes, amis et proches qui viennent les aider et s’enquérir de leurs nouvelles, dans cet espace. Bien que vivant dans des conditions précaires, sans eau ni électricité ni gaz, ce couple ayant déjà été expulsé lors de la nakba de 1948 refuse de vivre ce cauchemar à nouveau. Surtout le vieux qui refuse de partir, quitte à mourir sur place. Têtu, il ne fait que se disputer avec sa femme. Et le conflit grandissant, cette dernière décide de partir vivre de son côté seule, en se sentant déjà bien malade et fatiguée.
Misérabilisme quand tu nous tiens, le réalisateur qui a filmé ces scènes du temps où il était journaliste, de 2005 à 2008, focalise sa caméra sur les larmes de l’un et les cris de l’autre. Le couple ne fait que geindre, pleurer et se disputer. Un drame humain beaucoup plus, avec comme toile de fond l’aspect politique qui n’est perceptible que légèrement à travers la voix de la radio.
Réalisé sans subvention, le réalisateur qui a suivi ce couple même après s’être installé ailleurs, a choisi comme scène finale la destruction de cette baraque devant l’impuissance de cette famille déchirée, le tout entouré de photographes présents pour immortaliser ce moment. Ou comment tomber dans la bassesse du voyeurisme primaire… et la banalisation du spectacle de la déchéance humaine… affreux!
Dans un autre registre où la fureur de vivre est plus forte que l’apitoiement et la mort, est le documentaire de 60 mn, de cette réalisatrice brésilienne née de parents coréens au Brésil, à savoir Iara lee.
Dans Life is waiting la réalisatrice militante, activiste, pro Sahara occidental, a choisi pour sa part de filmer tout le contraire. Plutôt la vie via l’art et la culture pour célébrer l’identité indélébile de cette population en colère qui continue à résister, à se battre depuis 40 ans en attendant son autodétermination quitte à prendre les armes pour se défendre comme diront certains jeunes.
Dans ce voyage à grand risque, car marqué par des mines antipersonnel placées tout autour de cet autre mur de la honte et dont on dit qu’il est davantage plus grand que celui de la Palestine, la réalisatrice interviewera différents artistes et militants de la région et d’ailleurs et puis des observateurs internationaux d’ONG diverses. Et de faire ce constat irréfutable sur ceux qui sont dépêchés par l’ONU pour observer la situation, mais qui se positionnent du côté du Maroc: «Ils viennent seulement pour boire du thé et faire du safari.»
Outre le fait de dénoncer les conséquences de la violence quotidienne sous l’occupation et à donner un aperçu des aspirations du peuple saharaoui La vie attend, de Iara Lee, prône la paix avec la résistance culturelle.
Ce documentaire est avant tout un plaidoyer sur la beauté de la culture sahraouie.
Ainsi sont évoqués outre un poète, des chanteuses, une comédienne, un réalisateur marocain vivant en exil, un plasticien qui, là où explose une mine, plante des fleurs en instillation et dresse des happenings, comme action, façon de dire clairement des fleurs contre des mines! Dans ces camps de réfugiés, la réalisatrice ira à la rencontre de femmes pour dépeindre leur courage et savoir-faire.
Ce film qui n’est pas que rose bonbon, dresse le portrait historique de cette région par des bribes d’anecdotes chronologiques pour mieux cerner les enjeux de cette région dont elle espère glaner encore plus de soutien de la part de l’opinion internationale et faire bouger les choses. Du moins, c’est le voeu pieu de la réalisatrice qui signe un film à son image, épris de sourire et de couleurs.
Et des poussières de poésie non pas sur le sable mais de ces ballons voguant dans les airs qui, en franchissant les barrières de ce mur de l’apartheid, vont faire voyager le sentiment de liberté sur le Sahara occidental.
Un film où l’esthétisme a un sens et se veut pensé comme choix d’écriture essentielle dans la narration du film de Iara. Mais celui qui aura la palme de la sublimation par l’image sera sans conteste le film documentaire Le bouton de nacre du réalisateur chilien Patricio Gusman.
Ce dernier est incontestablement au cinéma ce que Terrence Malik est à la fiction surtout lorsqu’on pense à son fameux film hybride Tries of life. Sorti en 2015, Le Bouton de nacre a été sélectionné, en compétition, à la Berlinale 2015 où il reçoit l’Ours d’argent du meilleur scénario. Et comment! Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué.
Tout réside dans la philosophie de la matière liée au spirituel, à l’organique puis à l’humain! Le réalisateur évoque les conséquences de la politique de Pinochet en faisant un va-et-vient entre le passé et le présent en passant par l’univers, le cosmos et ce peuple de l’eau, les Indiens de Patagonie dont le peuple a été décimé.
Tout part de la découverte d’un bouton au fond de l’océan qui pourrait être celui d’un habitant de Patagonie qu’on massacrait et jetait de l’avion dans la mer.
Le réalisateur relie deux histoires pour dire le présent et l’amer tiraillement que connaît ce pays. Il rappelle l’histoire de Jemmy Button, l’indigène séduit par un bouton de nacre et que Robert FitzRoy commandant de la marine royale britannique ramène à Londres en 1830, puis renvoyé chez lui après avoir appris à parler et s’habiller comme les Anglais, mais sans trop pouvoir s’intégrer au sein de sa civilisation déchue. Ce même type de bouton est repêché des abysses, collé aux coquillages qui fleurissaient sur les rails sur lesquels on attachait les opposants pour mieux les plonger dans les profondeurs de l’eau, au temps de Pinochet.
Deux exterminations et un seul ciel, un seul monde, un seul univers. Et puis, cette eau source de mémoire intarissable qui pourrait déballer si elle était amenée à parler. Expatrié depuis son expatriation (à Cuba, en Espagne, puis en France), consécutive au coup d’Etat d’Augusto Pinochet en 1973, le Chilien Patricio Guzmán n’a depuis cessé d’explorer l’histoire, dit-on, de son pays et d’épouser son histoire. Et de quelle manière!! avec subtilité, finesse et poésie. Celle-ci s’insinue dans chaque plan, dans chaque partie minérale de cette eau, pluie, neige ou de ces cristaux et particule infime de cette terre et ses roches que le réalisateur restitue presque à la loupe parfois par l’oeil de sa caméra.
Une belle leçon de cinéma où l’image se dilue aussi dans le texte qui l’accompagne, qu’on avale avec douceur et harmonie.
Ainsi, dans ce documentaire où les photos d’archives en noir et blanc renseignent de la férocité de ces tragédies humaines, la beauté de l’univers vient apaiser ce chaos du dehors par des pans d’environnement quasi surréaliste, d’une métaphysique presque mystique.
Un saisissant documentaire qui a bien défendu une cause avec un débordant goût esthétique sans se départir du sujet important qu’il véhicule.

lexpressiondz